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HOMMES DE MÉNAGE

(mention honorable au
17th JULIA MARGARET CAMERON AWARD
section non-professionnelle
catégorie thème libre)
Ce projet est né par hasard. Je voulais tester un nouvel objectif et j'ai photographié un homme qui a été très important dans ma vie. J'étais chez lui, il était nu et il venait de faire le ménage.
Les photos m'ont tellement plu que j'ai voulu en faire une série. Ainsi, j'ai demandé à des amis et à des connaissances de les photographier pendant qu'ils faisaient le ménage nus chez eux, en les prévenant que j'aurais caché au préalable le visage ou enlevé la tête en faisant des retouches.
Pendant deux ans, j'ai interpellé quarante-deux hommes, huit en Italie et trente-quatre à Marseille (France), quelques-uns directement et d'autres que j’ai connus par des copines et des copains communs.
Parmi eux, vingt-neuf ont refusé. Trois par pudeur et trois par manque d’intérêt. Un était aveugle et ne pouvait pas apprécier le résultat. Deux voulaient perdre dix kilos avant. Un, qui avait des tatouages et avait horreur d'être pris en photo, m'a de suite trouvé un remplaçant. Deux n'ont jamais répondu à ma proposition. Un a dit que c'était de la folie et pas trop son truc. Un autre était intéressé, mais il n'a pas donné suite à ma proposition. Un ne se trouvait pas assez esthétique. Un autre se plaignait d'avoir des problèmes de peau et finalement pas assez de motivation. Un ne voulait pas que sa copine le sache et j'ai laissé tomber. Un autre a changé d'avis à la dernière minute sans explications. Un ne sait pas encore pourquoi il n'a pas voulu que je le prenne en photo. Un autre était trop pudique mais tellement enthousiaste au projet qu'il a demandé de poser à six de ses amis. Ils ont tous refusé, certains lui ont dit qu'il était fou, d'autres ont décliné par pudeur. Un autre a dit que oui à copine commune puis il n'a pas répondu à mon sms. Enfin, le dernier a dit que l'ultra-féminisme est bof !
Treize ont accepté mon invitation. Cinq habitent Bologna et huit Marseille.
Trois ont préféré ne pas se faire photographier chez eux car ils habitent avec leur femme et leurs enfants. Deux étaient sans abris au moment de la proposition. Ainsi, un est venu faire le ménage chez moi et les quatre autres chez des amis communs.
Un parmi les hommes photographiés a des attributs féminins. J'ai choisi de m’arrêter au treizième homme car je m’intéresse à la symbolique du numéro 13 qui incarne le désordre, l'instabilité et l'incertitude. L'unité rajoutée au 12 indique la rupture de l’harmonie : le numéro 13 casse la loi de l'équilibre et de la continuité et impose une transformation radicale.
Pour conclure, j'ai demandé aux participants d'évoquer leur ressenti par rapport à cette expérience, onze ont répondu et j'ai transcrit leurs témoignages ci-après. Depuis le début, je me suis aperçue que le projet leur appartenait.
Je les remercie tous très sincèrement de s'être mis en jeu avec autant de générosité et de m'avoir fait confiance.
Je sais que cela n'a pas été facile.

TÉMOIGNAGES
QUELQUES RÉACTIONS
«Moi je ne me mets pas nu pour être connu. Alors vu l'ampleur ou la perversion que prend ton obsession pour la nudité je t'interdis de publier mes photos nues. J'ai posé pour toi parce qu'on été intimes"
(Homme de ménage n° 0)
«Oublie-moi ! Je n'arrive pas à comprendre comment une femme qui veut une vie normale peut faire ça. Tu vas me dire que c'est de l'art mais il faut être seul pour faire ça. Bonne chance. »
(Mon copain le jour de la publication du projet)
“Bravo c'est magnifique!!!! J'ai beaucoup aimé l'introduction, je ne sais pas pourquoi... Les photos sont belles et désacralisent tous les tabous construits autour du corps et de la sexualité.. C'est percutant.”
(Copine et supporteuse du projet)
«Avec ces portraits tu cherches à saisir l'identité masculine qui ne colle pas forcément avec le sexe ou le genre. La nudité est toujours au centre, même quand le sujet est d'une coté. Cela maintien haute la tension même quand les caractères sexuels sont absents.
Pourtant, nous en savons de moins en moins sur l'identité. Il n'y a aucune possibilité d'y voir clairement.
Le flou, le flou bougé, le rapproché enlèvent toute certitude et désorientent le regard.
Souvent, il n'y a aucune convergence vers le centre, c'est la complexité de la composition qui compte. Quand le pénis n'est pas là, on va chercher autre chose. Le pénis est un catalyseur.
Parfois, les forts contrastes, la lumière éblouissante décharnent le corps. Quand on enlève les contours de la chair, on lui enlève la force. Le corps en sort affaibli.”
(Un des hommes de ménage après avoir vu les photographies)
“Ce projet mérite d'être continué car la lutte ne s'arrête pas!”
(Brigitte B.A., amie)